Mon père était photographe de plateau. Dans les années soixante, on le croisait aux studios de Boulogne en compagnie de jeunes gens qui s'exerçaient à vivre de leurs rêves. Il y avait là Nestor Kapoulos, Jean-Louis Huchet, Eric de Max, Mucir et bien sûr Gaby Noël, des noms connus des seuls amateurs de génériques. La caméra régnait alors en maître. Elle buvait tout du mouvement et mon père se faisait discret pour figer les artistes dans leur plus belle expression. Les meilleurs clichés apparaissaient dans Cinémonde. La plupart finissaient placardés sur les murs du Grand Rex ou de l'Atrium, sous des protections de verre ou à même le regard des badauds qui parfois les volaient. Je crois que mon père avait l'oeil. Il savait saisir une défaillance, une colère muette, la trace infime d'un incident de tournage sur un visage très pur. On aurait dit qu'il pressentait chez les comédiens leurs moments d'abandon, leur peur de n'être pas à la hauteur du film, du metteur en scène ou seulement de leur propre image.